Arrivée du plénipotentiaire russlave

Une grande activité régnait comme à l'accoutumé dans la grande cour d'entrée du Palais Royal. Des domestiques venaient ça et là, chargés de plats multiples. Dans l'écurie proche l'on pouvait voir les maréchaux-ferrants s'afférer à peigner les chevaux du Haras Royal, tandis que d'autres domestiques vernissaient encore et encore un carrosse.

Un des gardes royaux à qui la délégation se présenta leur affirma qu'il alla prévenir ses supérieurs. Quelques courtes minutes s'écoulèrent, durant lesquelles les personnes présentes dans la cour, peu habitués encore à voir des kala-puys, observaient ostensiblement la mission russlave. Puis vint un homme richement vêtu d'un long et ample vêtement bleu, brodé de fils d'or. Il fit une révérence et dit, en se maintenant légèrement baissé :

- Honorable Excellence, puissiez-vous avoir fait bon voyage en terres Mnibétaines. J'espère que les modestes et humbles appartements que le Royaume mis à votre disposition purent assurer votre repos après un périple en des monts dont le relief difficile mais somptueux est égal à l'immensité de votre nation. Il se redressa. Je me nomme Tanpei, j'ai l'honneur d'être le second mandarin de Sa Majesté et le privilège de vous servir. Sa Majesté vous recevra avec sa Cour dans la Salle du Trône. Sa Majesté espère que votre Admirable Personne fera la suite de l'ébauche de relations entre nos pays, que le Royaume du Mnibet débuta il y a quelques temps par la venue officiel de Sa Seigneurie Ti Mong de Daksha, alors Secrétaire à la Diplomatie, en Sainte Russlavie.

Tapisseries fines, bois sombres et vernis, statues de jade ou d'ivoire, personnels vêtus des tissus les plus fins... La richesse affichée des lieux contrastait avec la misère des gens rencontrés par la délégation lors de son voyage. Une pauvreté, sans pourtant de colère ou de désespoir de la population, avait d'ailleurs remarqué le Russlave.

- Son Excellence Sieur Stepan Mai-Maievski, Ministre des Affaires Etrangères du Saint-Empire Russlave, diplomate plénipotentiaire, Colonel du septième régiment de cavalerie de l'Armée Russlave, et sa suite ! annonça le mandarin fortement et distinctement, lorsqu'ils entrèrent dans la Salle du Trône, gardée par des soldats armés de mousquets. De chaque côté était réunie la Cour, nobles puissants et arrogants, sages bouddhinstes, hauts-fonctionnaires du Gouvernement de Sa Majesté... La famille Royale, au fond de l'allée formée par le fine fleur du Royaume, était installée sur une estrade luxueuse : l'Outamaraya, Son Epouse, Sa Soeur. Les six autres mandarins de Sa Majesté se trouvaient derrière le Souverain, prêts à le conseiller et à donner leurs avis. Tous les regards se tournaient vers les étrangers.

- Que votre escorte reste ici, elle n'a pas sa place en ces lieux, chuchota le mandarin. Allez saluer Sa Majesté d'une révérence forcée, sachez affirmer votre infériorité car vous êtes un roturier malgré votre statut, lui conseilla-t-il. Sa Majesté attends de vous que vous preniez les devants sur la question diplomatique.

- Si Notre dévoué Secrétaire à la Diplomatie rappela à l'Empire Russlave les efforts que Nous fîmes, commença le Souverain aprés avoir accordé un même salut, ce ne fut point afin de vous tromper dans Nos intentions. Assurément espérons-Nous un avenir identique pour Nos relations.

A l'annonce du Ministre russlave, un mandarin de Sa Majesté ainsi que quelques curieux allèrent voir ce que pouvait bien être la surprise offerte par les étrangers. Il revint chuchoter à l'oreille de son maître ce qu'il en était. Un sourire, chose rare, s'esquissa enfin sur le visage du monarque.

- Ainsi les Russlaves ont un savoir-vivre proche du Nôtre, et savent rendre les bonnes manières. Nous sommes satisfaits de ce présent de valeur et qui Nous intéresse. En effet les russlaves avaient vu juste en comblant la curiosité naturelle de l'Outamaraya. Commençons, désormais que Nous sommes entre bonnes gens.

Le ministre entra directement dans le vif du sujet.

Bien. De tous temps, la Russlavie a été tournée vers l'Ouest. De perpetuels affrontements contre nos ennemis héréditaires les Turcoses et le Saint Empire d'Edoran ont retenu toute l'attention de nos souverains. En conséquence, aucun effort diplomatique n'a vraiment été concédé sur ce côté ci de nos frontières. Le gouvernement actuel veut réparer cet oubli. En effet, nous avons l'intime conviction que seule une alliance solide avec une nation forte pourra sécuriser la région du sud-est, et apporter à la Russlavie la sécurité de sa partie orientale.
Votre Majesté, Votre pays est notre interlocuteur tout désigné. Mon Gouvernement souhaite nouer avec vous un traité d'alliance et d'entente éternelle.
Vous vous interrogez probablement sur les conséquences, par delà la symbolique, d'une telle alliance.
Rassurez vous, il n'y aura pour vous aucune obligation du type "Si la Russlavie est attaquée, le Mnibet entrera en guerre". Laissez moi vous exposez ce que mon gouvernement attend de ce traité:

La création d'ambassades dans nos capitales respectives.

l'Etablissement de routes de commerce entre nos deux pays. L'inauguration d'une zone de libre-échange entre le Mnibet et la Russlavie.

La mise en place d'échanges culturels, par des voies qui seront discutées ultérieurement.

L'envoi d'instructeurs militaires au Mnibet, afin d'entrainer les troupes royales dans l'optique de la guerre moderne.

Bien sur, si Votre Majesté avez d'autres propositions, qu'Elle n'hésite pas à m'en faire part.
J'aimerais également aborder une dernière question... La politique russlave est dominée par une volonté d'accéder aux mers chaudes. A l'Ouest, nos navires doivent emprunter les détroits turcoses pour accéder aux mers du Sud. Cette situation n'est pas idéale. L'installation de comptoirs russlaves en Banthou, Linku et Lépal serait d'un intéret stratégique primordial.
Le Gouvernement Russlave prie le Mnibet d'intervenir auprès de ces royaumes afin que nous puissons y installer un ou des ports. Il va de soi que la création de comptoirs sur ses côtes bénéficirait au commerce mnibétain.
En échange, mon pays est prêt à livrer du matériel militaire, ou à réaliser des travaux de génie civil dans votre beau pays...."

Le diplomate se tut, attendant la réponse du Roi...

L'Outamaraya apprécia la promptitude de l'étranger, qui rattrapa légèrement le retard pris par les relations bien que cela fut au détriment de certaines exigences protocolaires. Toutefois, le Souverain gardait à l'esprit que tout ce temps perdu ne devait engendrer pour autant des accords expéditifs. Une partie du monologue marqua l'Outamaraya, et il préféra le souligner avant de s'exprimer sur l'essentiel des propositions.

Excellence,

En Nous soumettant l'idée que Nos Royales et fières troupes puissent être formées à la guerre dite "moderne", il insista sur ce mot, par les soins des instructeurs Russlaves, sous-entendriez-vous l'infériorité relative de Nos forces ? L'orgueil de Sa Majesté fut touchée par cette offre. Il savait que l'armée mnibétaine était trés en retard, aussi bien sur le plan technologique qu'au niveau de l'organisation, par rapport aux autres nations terranoviennes. Mais jamais il ne pourrait le reconnaître.

Dans la salle l'on entendit de nombreux chuchotements. Les gens de la Cour s'outrageaient ostensiblement, en soutien à leur Suzerain.

L'assemblée fut stupéfaite devant le geste de la délégation. L'Outamaraya se leva subitement, excédé, et d'une voix forte s'époumona :

- Comment ! Ne supportent-ils point une attente de sages réflexions appropriées à un tel évènement ! Notre Royaume et Nous-même patientâmes une demi-année pour recevoir des nouvelles de la Russlavie, que nous n'eûmes aucunement, devant Nous-même les rappeler à leur devoir ! Et voilà que leur orgueil de kala-puys inconscients et irréfléchis leur fait refuser quelques minutes !

- Votre Majesté, dit un mandarin, il est clair que l'expression parler en tortue est typiquement mnibétaine... ces gens-là ne semblent pas connaître l'utilité de la réflexion mesurée...

- Votre Majesté, répondit un autre, cette délégation avait pour objectif clair de servir uniquement ses propres intérêts... Ils ne voyaient le Mnibet que comme une fenêtre ouverte vers les territoires à leur sud-est et leur propre sécurité, contre des soi-disant connaissances militaires et armes dont le Royaume peut se passer... Leurs propositions n'étaient pas équitables.

L'Outamaraya s'asseya. Son Epouse lui serra la main, essayant de calmer cet homme pouvant devenir cruel et injuste avec la colère.

- La réunion s'achève, conclut-il. La Cour se dispersa en murmures.

Chaitanya Chinmay fut navré de la fin expéditive des relations. Déçu également que Stepan ait gardé son caractère emporté de militaire obtus. "Un militaire aux affaires diplomatiques, quelle drôle d'idée" se dit-il avec raison.

Il vint aux côtés de l'Outamaraya, et prit la parole afin de l'avertir.

- Votre Majesté, j'aimerais réagir sur une chose réellement d'importance parmi les discutions pouvant être engendrées par cet évènement : les Russlaves désirent, ceci est clair, une influence sur notre région du Namkha. Ils viennent d'essayer, une première fois peut-être, de l'avoir par la diplomatie. Mais les Russlaves sont aussi peu promptes à la méditation qu'ils le sont pour l'entêtement. Ce qu'ils n'ont d'une manière, ils voudront l'avoir d'une autre...

Courrier du Ministère des Affaires Etrangères

Citation :

Sire,

Nous réalisons que le départ quelque peu précipité de notre ministre a pu déconcerter Votre Majesté et son Conseil.
Nous nous empressons de vous en expliquer la raison: un ministre étant ce qu'il est, une absence prolongée de Russlavie était impossible. C'est bien à regret, et contre son gré que le ministre Mai-Maievski a du quitter votre royaume pour se plier aux nombreuses obligations qui exigaient sa présence à Gornograd.
Nous esperons que Votre Majesté n'a pas vu dans ce départ précipité une quelconque insulte au Mnibet et à ses habitants, et si c'est le cas, nous supplions Votre Majesté d'accepter nos excuses les plus sincères et nos regrets les plus profonds.

Le Gouvernement de Sa Majesté Impériale le Tzar ne considère donc pas les négociations comme rompues, loin de là.
Néanmoins nous comprenons que Votre Majesté ne se prononce pas sur les termes de l'accord proposé par notre ministre tout de suite.
C'est pourquoi nous proposons que le premier point en soit au moins validé: celui de l'installation d'une ambassade et d'un ambassadeur attitré dans nos deux pays.
Cela facilitera la poursuite de négociations suivies entre nos deux pays.

Pour finir, nous supplions Votre Majesté de ne pas accorder foi aux rumeurs et autres propagandes mensongères qui pourraient être relayées par des agents à la solde des ennemis de la Russlavie, tel le Jaton, Edoran ou la Turcosie.
Le Peuple Russlave ne désire rien d'autre que l'amitié du Roi du Mnibet. La Russlavie est vaste comme un continent, pourquoi irait elle conquérir le Mnibet ou les terres du Sud-Est ? Nous avons changé de régime, et nous avons aussi changé de mentalité: le panslavisme, l'impérialisme agressif qui règnaient sous Nicolas Ier ont disparu.
Nous prions Votre Majesté de croire que la Russlavie tient à la paix et à l'entente entre nos peuples plus que tout.
Le Gouvernement Russlave assure Votre Majesté de sa plus haute considération.