Chambre de Son Altesse Laoyang Tsuza

Une des tours du Palais servait d'appartement à la cousine de l'Outamaraya. Dans sa chambre, cette jeune et belle femme se regardait dans un miroir, en attachant dans ses cheveux quelques parures de bois précieux et de jade. Elle avait honte de son rang, en se disant que la naissance n'avait pas à prédestiner la vie de quelqu'un. Elle avait honte d'être née noble, et honte d'avoir le même aïeul que l'Outamaraya son Royal cousin.

Laoyang posa son peigne doré sur la petite table devant le miroir. Un doux souffle de vent venu du balcon de la tour lui passait dans les cheveux. Elle sortit sentir cet air frais. Alors que la jeune femme observait les montagnes situées au loin elle entendit la porte de sa chambre s'ouvrir.

-Laisse-nous seul, serviteur!

-Oui, Ô Votre Haute Seigneurie!

La cousine de l'Outamaraya se retourna vivement et aperçut l'imposante silhouette d'un noble des steppes, un homme qui n'était pas habitué des villes. Un noble dont seulement la chuba colorée et la taille immense différenciait encore des paysans sombres et recourbés. Les manières et le vocabulaire étaient dans les deux cas ceux de rustres. Le Seigneur âgé retira couvre-chef en fourrure et sortit de l'ombre afin de dévoiler son visage couvert de rides.

-Laoyang, que vois-je? Tu es devenue une femme!

-Pasang Tsamcho? Toi, ici?

Elle fut trés surprise de voir que le Seigneur était parvenu jusqu'à sa chambre, elle qui avait demandé à ce qu'on ne la dérange pas. Mais que sont les ordres d'une femme face aux volontés d'un noble ?... Sa surprise fit vite place à un sentiment de gêne en entendant Pasang. Elle se sentie trés mal à l'aise, elle qui est devenue désormais un trés beau partie pour la haute-noblesse du Royaume. Elle poursuivit alors sèchement, détournant son regard et en tripotant inconsciemment ses cheveux.

- Qu'es-tu venu faire si loin de... de tes repaires de brigands ?...

Pasang Tsamcho se figea. Il fronça les sourcils et serra nerveusement son couvre-chef de fourrure entre ses mains noueuses et ridées. Il avait honte de soi, de son apparition si soudaine et de sa vieillesse. Il regarda le sol de bois tout en rougissant. Le jeune homme d'antant, celui que Laoyang avait connu étant petite, avait été englouti par les steppes désertiques de Rusham. Seul restait le Seigneur âgé et affaibli, surnommé "vieux Khampa" par ses Sujets. Seul restait ce vieillard inconnu à la jeune femme.

- Pourquoi tant de rancoeur à mon égard, Laoyang? Ne t'ais-je point manqué pendant ces longues et douloureuses années? Ne te souviens-tu donc pas du temps où j'étais ton protecteur, ton ami? Les heures pendant lesquelles je jouais avec toi et que je t'apprenais à monter à cheval? Tu n'étais encore qu'une enfant, et j'étais un jeune homme fort et beau...

Pasang s'interrompit, les souvenirs lui revenaient et pesaient de tout leur poids sur son coeur usé. Il continua:

- Tu sais bien que les affaires en Rusham m'ont obligés à te laisser seule à Ajita, je devais gérer le domaine de mes pères! La joyeuse époque de nos escapades et de nos chevauchés devaient bien se terminer un jour... Et puis tu est une fille, il aurait été mal pour toi que d'être élevée sur un cheval comme un noble des steppes que je suis!

Laoyang ne pouvait regarder cet homme qu'elle a tant connu étant petite, et qu'elle a aimé durant l'insouciance de son enfance. Mais elle compris avec l'âge à connaître les hommes et les vies différentes qu'ils pouvaient mener. Au fond d'elle restent ses souvenirs d'amour, de tendresse, désormais estompés par la dure réalité.

- Tu m'as manqué oui... Tu m'as manqué jusqu'à ce que je grandisse et que j'apprenne que pour asseoir ton pouvoir tu... Tu mutilais, tu apportais la violence contre la violence. L'enfant que je fus ne voyais pas en toi un brigand caché derrière un titre de noblesse... mais la femme que je suis devenue l'a compris.

Bien plus soucieux de convenances le Prince Ti Mong avait demandé entrevue à Son Altesse Laoyang Tsuza

Alors qu'elle parlait au "Vieux Khampas", sa plus fidèle suivante entra sans un bruit et lui apporta une lettre du Seigneur de Daksha, qui lui demandait une entrevue. Elle se dit qu'elle ferait mieux d'attendre que Pasang sorte avant de recevoir une autre personne, et ne fit pas tout de suite transmettre de réponse.

Pasang ne fit pas attention à l'apparition d'une servante de Laoyang. S'étant considérablement raidi et agrandi pour signifier son statut élevé, il répondit à son amie d'antan:

- Tu sais bien, petite, que ces brigands ne connaissent que la violence! Il fallait un signal fort, il fallait faire peur pour sauvgarder l'autorité dans le Canton devenu hors la loi. Il fallait préserver le Mnibet du chaos, du pillage, du meurtre... Du viol!

Le vieux Seigneur reprit son souffle et enchaîna:

- C'est pour ce noble et respectable but que j'ai fait exposer les corps d'une centaine de bandits exécutés sur les murs du Dzong d'Udantika, que j'ai fait planter leurs têtes aux croisements des sentiers et sur les cols! C'est pour faire justice que j'ai fait couper des mains et mutiler des visages!

Le noble âgé sentait au fond de lui un besoin de justification pour tant d'horreurs, il les exposait tel un ouragan, une tempête de sable, un cheval en furie. Ce n'étaient pas ces précieux d'Ajita qui avaient une fois dû s'exposer au contact de la populace. Non, seuls les nobles de Rusham vivaient comme les paysans, sales et vulgaires. C'était à eux de sauvgarder la glorieuse nation du Mnibet, eux qui mangeaient parmi les roturiers et couchaient avec les paysannes! Ils étaient l'élite de ce peuple, ils n'avaient jamais goûté à la luxure et ignoraient les choses pervertissantes du monde extérieur!

- Quoi qu'il en soit, Laoyang, je suis venu t'inviter à faire une petite promenade à cheval. Je suis persuadé que les nobles d'Ajita ne t'ont même pas laissé au dehors des enceintes du palais pendant ces longues années!

Les horreurs proférés par Pasang mirent la jeune femme mal à l'aise. Elle s'assit devant son miroir et se peignit maladroitement, essayant de se donner une constance. Une larme perla sur sa joue tandis qu'elle pensait à toutes ces atrocités. L'insolente rétorqua alors, en tentant vainement de cacher ce qu'elle ressentait alors :

- On ne t'a donc rien appris lorsque tu étais enfant, au Grand Temple où tu fut élevé ? Tu m'as tellement parlé des enseignements religieux... Mais toi-même tu n'en tiens pas compte. As-tu oublié ce qu'à dit le Maître Choedaar ? "Un coeur mal dirigé fait un mal ecore plus grand"... Le mal qui gangrénait Rusham a changé de visage, voilà tout.

Puis il se levit en tournant toujours le dos au Seigneur, et s'accouda à la fenêtre, regardant la ville qui s'étalait, grouillant de vie, et au loin ces montagnes enneigées.

- Je n'ai pas envie de sortir aujourd'hui. Ni demain, ni même un autre jour.

- Je ne peux que me répéter, Laoyang, ces horreurs étaient et sont encore nécessaires dans le Canton de Rusham infesté de khampas! J'ai, pour la plus grande gloire de notre vénéré Royaume, sauvgardé l'autorité de Sa Majesté dans la région pour une cinquantaine d'année. J'ai, pour sauvgarder le Mnibet de ses ennemis, considérablement recruté des soldats dans mon Canton afin de les incorporer à l'armée royale! Mais bref, je ne te demande pas de comprendre la rudesse de la vie en dehors de ta prison dorée...

Sa Seigneurie Pasang Tsamcho s'éclipsa alors de la chambre de la cousine de l'Outamaraya.

Laoyang jeta un rapide coup d'oeil pour voir Pasang de dos, sortir furieux de ses appartements. Elle était attristée de le voir prendre de telles excuses pour pardonner ses crimes. D'un revers de la main elle essuya sa joue, et dit à sa suivante :

- Fait savoir au Seigneur de Daksha que j'accepte de le recevoir. Voyons ce qu'il me veut celui-là.

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