Demande de visa (Rosamund Krenz)

A la frontière, une petite femme toute tremblante dans un gros manteau de fourrure se présenta, étrangère sans nul doute au vu de sa peau pâle, de ses yeux trop ronds.

"Excusez-moi" a-t-elle dit aux gardes frontaliers avec un petit accent darstonien. "Je viens de loin pour voir le Mnibet, Monsieur Chinmay... m'a dit beaucoup de bien de ce pays."

Aussitôt on lui présenta un formulaire, qu'elle remplit en hâte, espérant pouvoir bientôt retrouver un peu de chaleur :

Citation :: Nom : Krenz

Prénom : Röschen (dit Rosamund)

Nationalité(s) : Darstonienne

Classe sociale (*1) : Roturière

Type de visa (*2) : Touristique

Religion : Déiste

Durée du séjour (*3) : Aussi longtemps qu'il le faudra.

Objet de la demande : Je viens sur l'invitation de Monsieur Chinmay, qui m'a proposé de faire découvrir les joies de l'Opéra au Mnibet.

Le fonctionnaire répondit dans un sourire à la jeune femme :

Tout est parfait mademoiselle Krenz. Etant donné que vous êtes l'invitée de Son Eminence Chinmay, un messager sera chargé de lui apprendre que vous êtes arrivée. En attendant, considérez-vous comme notre hôte. Vous pourrez trouver à l'étage des chambres servant aux voyageurs désirant se reposer avant de reprendre la route. Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux il est vrai, mais cela devrait suffire en attendant que Son Eminence s'occupe de vous.

Puis il fit un double du visa et tamponna les deux exemplaires, avant d'en remettre un à l'étrangère, lui précisant de le garder toujours sur elle. Un jeune adolescent du nom de Mohit se présenta à la jeune femme, lui disant qu'il la conduirait jusqu'à ses modestes appartements, où du thé et un foyer l'attendraient.

"Je vous remercie monsieur" dit-elle en inclinant modestement la tête. "Je veillerai donc à ne pas le perdre."

Puis elle suivit le jeune homme qui se présenta à elle, ses yeux détaillant les lieux avec une grande curiosité. Oui, certes, elle avait beaucoup voyagé, mais rarement pays ne fut aussi étrange, exotique sous le regard de la cantatrice... Le comprendrait-elle jamais assez pour en saisir toute la saveur ?

Le petit garçon, aux grands yeux curieux, regardait parfois l'étrangère dans un sourire innocent. C'était la première femme à peau blanche qu'il voyait. Il l'a mena ainsi à l'étage jusqu'à une petite pièce à peine éclairée par le soleil. Un lit trés bas était le long du mur, et en face un autel bouddhinste avec une statue de Lama Choedaar, des batons d'encens et des bougies éteintes attendaient. Sur une petite table basse, une théière et une tasse de thé au beurre, encore fumant, se tenaient devant un léger feu de cheminée. Le jeune guide salua trés vite en s'inclinant Rosamund, avant de courir raconter à ses amis ce qu'il avait vu.

Pendant ce temps, des ecclésiastiques chargés d'accueillir la cantatrice furent prévenu de son arrivée, et dépêchèrent une caravane afin de se rendre au poste de frontière où elle les attendait.

Si la Darstonienne était un peu dépaysée, ce n'était rien à côté de la tête du petit bonhomme qui l'avait accueillie. Il était mignon avec ses grands yeux tout surpris et son sourire figé... Rosamund le regarda partir avec amusement, adorable ce petit bout de chou.

La chambre était petite, mais confortable et pitoresque. Elle dégageait même un certain charme mystique qui n'était pas sans lui déplaire, même si ce n'était pas vraiment de cette manière qu'on honorait le Divin dans les pays qu'elle avait visité. Ici c'était plus... primitif ? Tout du moins simple, à l'image de ces rudes montagnes.

Une boisson chaude l'attendait sur une table basse, et l'attirait de ses brûlantes voluptes. Il faisait si froid dans ce pays... Doucement, elle s'accroupit pour porter la liqueur à ses lèvres. Ca avait un goût bizarre, qui la fit grimacer au premier abord, mais en fait c'était juste inhabituel. Même agréable après quelques gorgées, quand on sentait la chaleur reprendre ses droits dans le corps.

Un pays si étrange...

Plusieurs heures étaient passées, tandis que Rosamund patientait dans sa chambre de fortune. De temps en temps, une jeune feme pauvrement vêtue mais semblant respirer la joie de vivre, aux longs cheveux noirs, fins et tressés, venait voir si l'invitée de l'Eminence Chaitanya Chinmay ne manquait de rien. Elle lui apporta lors de son premier passage quelques fins morceaux de viande de bharal séchés et fumés, accompagnés d'un bol de céréales variées. Parfois, la porte crissait, poussée par des enfants voulant regarder la belle étrangère, puis qui s'enfuraient dans de grands rires lorsque celle-ci les remarquait.

Les grands espaces montagneux ne facilitaient pas les communications et les voyages, tout comme les faibles moyens, bien qu'adaptés aux rudes conditions. Les religieux du bozudzong le plus proche mirent quelques heures, dans leur caravane tirée par des yacks, pour atteindre enfin le poste de frontière. Bien vite, les bozus, alors représentants de Son Eminence haitanya Chinmay pour l'occasion, furent conduits à la cantatrice.

Ils se présentèrent tous trois dans la pièce, simplement vêtus d'une longue chuba bouddhinste blanche immaculée. La saluant tout d'abord, l'un d'eux prit la parole :

- Beauté d'un autre monde à la voie de cristal, Son Eminence Chaitanya Chinmay, Grand Maître Bouddhinste et Choedaariste de Daksha, énième réincarnation de Adung Dhargye le Prémonitoire Oracle d'Etat, vous souhaite par ma bouche la bienvenue au Royaume du Mnibet, terre de spiritualité. Mes frères et moi-même avons le grand honneur d'êtrechargés de vous emmener à Ajita la Magnifique, destinée de notre voyage qui durera deux journées à travers les vallées enneigées de cette fin d'hiver.

Un autre bozu s'avança et présenta un coffret de bois sombre et vernis, décoré de moultes inscriptions mystérieuses pour Rosamund. Il l'ouvrit et présenta son contenu à la jeune femme : un épais et court collier de cuivre, ou étaient incrustée sur trois rangées des pierres de turquoise.

- Que ce modeste présent vous assure longévité et fécondité.

Le moins qu'on puisse dire des Mnibétains, c'est qu'ils savaient ce que voulait dire l'hospitalité : bien que modestement traitée, elle avait le sentiment que ces pauvres gens lui avaient offert le meilleur accueil qu'ils pouvaient se permettre d'offrir. Il n'y avait pas à dire : celà changeait de certains palaces où l'on reléguait les artistes moins importants dans le quartier des serviteurs. Non, franchement elle n'avait pas à se plaindre de l'accueil, la femme qui lui apportait de quoi se nourrir était aimable au possible et les gamins amusants par leur manie de l'espionner, puis de s'enfuir quand elle faisait mine de se retourner.

Puis vinrent trois hommes vêtus de blanc, la délégation que lui avait promis le vieil homme à Orion. Des religieux, au vu de leur langage presque cérémonial, qui semblaient lui porter un immense respect. Alors le vieux Chinmay était Oracle d'Etat ? Il avait l'air si simple pourtant, si ouvert à la discussion... Pour le coup, il brisait littéralement le stéréotype du religieux grabataire.
Mais la plus grande surprise sortit d'un petit coffret sombre que le moine lui présenta, à sa grande stupeur.

"Il est... magnifique" s'exclama-t-elle après quelques secondes de mutisme en découvrant le collier. "Je... je vous remercie sincèrement pour ce cadeau tout simplement... excusez-moi, je..."

Hésitante, elle tendit ses mains vers le bijou pour le soulever délicatement, tout en observant les réactions des religieux. Etait-ce bien ce qu'il convenait de faire ? Devait-elle le mettre à son cou ou commettait-elle là un affront à leurs traditions ? Elle avait beau avoir consulté les ouvrages que lui avait conseillé Chinmay, elle n'était pas sûre de ce qu'il convenait de faire face à un tel présent...

Les bozus esquiscèrent tous trois un léger sourire, et s'inclinèrent une nouvelle fois, heureux que le collier plaise à l'étrangère, car bien moins pointilleux sur le protocole et les usages que la noblesse, il leur suffisait que Rosamund apprécie sincèrement leur geste, tant que le port du collier n'aille pas à l'encontre de leurs croyances vis-à-vis du matérialisme et de l'humilité.

- Son Eminence Chaitanya Chinmay aimerait que vous portiez ce bijoux à l'occasion de vos futures représentations au Mnibet. Cela lui fera trés plaisir, soyez-en assurée. Si vous vous sentez prête à partir, nous serons heureux de mettre vos affaires dans notre véhicule, bien que peu adapté à votre condition, et de vous conduire jusqu'à la capitale où Son Eminence vous accueillera, au Grand Temple Nyima.

"J'en serais très honorée" répondit-elle en inclinant la tête, admirant encore le collier.

En avait-elle jamais porté d'aussi beau ? Peut-être une fois ou deux mais c'était du toc, des accessoires théâtraux... Nul doute qu'un bijou de ce type lui donnerait une certaine contenance face à la noblesse de ce pays, elle comprenait le vieux Chinmay : il ne faudrait pas que cette cour croive avoir affaire à une petite bouseuse désargentée (même si c'était en partie le cas). Il n'empêche : elle ne pouvait qu'apprécier le geste.

"Je suis prête à partir quand vous le souhaiterez" lança-t-elle enfin, détachant son regard de l'objet.

- Veuillez nous suivre mademoiselle Krenz.

Les bozus prirent alors ses valises et conduisirent la cantatrice jusque leur caravane, devant le poste de frontière. C'était une simple carriole de bois protégée par une grande bache marquée de l'Amandier, montée en arc de cercle, où monta la jeune femme, à l'abri et relativement confortablement sur des coussins et d'épais tissus pour garder un peu de chaleur. A la caravane étaient harnachés deux imposants yacks à l'épaisse et longue fourrure noires. Ces animaux étant presque sacrés pour les Mnibétains étant donné leur grande utilité quotidienne, ils portaient de nombreuses décorations de tissus trés colorés sur les cornes et le dos.

Un des religieux prit place à l'avant, prenant les rênes des bêtes de trait, tandis que le second était chargé de prendre place aux côtés de Rosamund afin de lui tenir compagnie, et que le troisième dormait prés d'eux, afin qu'ils puissent se relayer jour et nuit lors de ce voyage de deux jours.

La caravane parti alors lentement, quittant la frontière pour traverser les grandes étendues désertiques, bordées de hautes chaînes de montagnes enneigées. Parfois, Rosamund apercevait l'un ou l'autre hameau, perdu dans les montagnes, des troupeaux de yacks que faisaient paitre les paysans, ou encore au loin des animaux de montagnes sautant de piton rocheux en piton rocheux.

[Suite au Grand Temple Nyima]

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